Vers les années 1930, est apparue en France une nouvelle technique de vitrail appelée “mosaïque translucide” par son inventeur, le maître-verrier Jean Gaudin.
Le verre, coloré dans la masse et de forte épaisseur vingt à vingt-deux millimètres (alors qu’il ne fait que deux à trois millimètres pour le vitrail traditionnel au plomb), est serti par un mortier de ciment ou de résine époxy qui est coulé autour des pièces de verre. Cette technique est maintenant appelée : dalle de verre.
Une dalle de vingt à vingt-cinq millimètres d’épaisseur
La dalle de verre est un verre coulé dans un moule de 20 x 30 cm pour les tailles standards, il est coloré dans la masse et fait de vingt à vingt-deux millimètres d’épaisseur environ. Si quelques maîtres verriers comme F. Decorchemont ont réalisé eux-mêmes leur dalle, la plupart des ateliers français utilisait les dalles issues des fours et des moules des verreries de Saint-Just-sur-Loire (maintenant filiale de Saint-Gobain) et de l’atelier de Monsieur Albertini (verrier indépendant à Montigny-les-Cormeilles).
Jusque dans les années 1960, le grand essor de cette technique a permis la mise au point d’une gamme de couleurs aussi riche et étendue que celle du verre antique. Aux ateliers Loire plus de quatre cents nuances étaient habituellement stockées et grâce au talent de l’ingénieur chimiste Salagarda des Verreries de Saint-Just des teintes spéciales pouvaient être mises au point pour des chantiers importants. Malheureusement, la désaffection actuelle pour cette technique réduit la production de dalles et par la même la gamme de couleurs.
La dalle peut être coupée à la roulette mais c’est la taille à la marteline sur un billot qui permet d’affiner la coupe au plus près du calibre (gabarit de papier découpé du carton). Cette technique de coupe est issue des mosaïstes. Certains ateliers utilisent la scie permettant des formes “rentrantes” difficiles à obtenir à la marteline. La dalle peut être volontairement “éclatée” en surface de façon à donner plus de vie et de luminosité à la matière. Si Gabriel Loire a largement eu recours à la dalle éclatée, d’autres artistes comme Fernand Léger ont préféré la garder non éclatée pour être plus proche de leur “aplat” de couleurs. Une fois les pièces de verre taillées, elles sont assemblées suivant le carton sur la table de coulage. Un coffrage aux dimensions des panneaux ou de la baie est mis en place avant le coulage du mortier de ciment ou de résine époxy.
Le ciment
Le mortier de ciment utilisé dès les premières réalisations de 1929 est armé d’une ossature métallique “la grille” faite en tige et fil de fer. Pour donner plus de solidité à l’ensemble, ce mortier est coulé en trentre millimètres d’épaisseur. La prise lente du ciment (quinze jours) implique une immobilisation importante des tables de coulage.
La résine époxy
Dès la fin des années 1960, la résine époxy commence à se substituer au ciment. Beaucoup plus solide que le ciment, elle n’est coulée qu’en dix-huit millimètres d’épaisseur, avec une bien meilleure adhérence sur le verre et sans armature métallique. De plus une prise rapide (huit heures au lieu de quinze jours pour le ciment) permet une rotation plus rapide sur les tables de coulage. Des sables de différentes natures et différentes couleurs saupoudrés sur la résine offrent des aspects de surface variés, en harmonie avec les façades des bâtiments.
Restauration des dalles de verre
Les problèmes de conservation et de restauration des vitraux en dalle de verre commencent à apparaître sur plusieurs édifices.
L’origine des altérations
L’altération de ce type d’œuvre à deux origines principales :
La nature du sertissage : le mortier de ciment dont l’armature en rouillant peut éclater le mortier ou les dalles de verre. Ce phénomène est particulièrement sensible en bordure de mer où l’atmosphère saline accentue l’oxydation de l’armature.
Le principe de pose du vitrail : la pose directe dans l’architecture (de pierre, de ciment ou de métal) sans joint de dilatation en bordure des panneaux peut entraîner des casses liées à la compression du vitrail lorsque le bâtiment bouge. De plus, la texture du mortier qui est liée à la qualité des matériaux (sable de mer) ou à sa mise en œuvre (prise trop rapide) peut
provoquer une porosité, un défaut d’adhérence sur le verre qui accélérera la dégradation de l’œuvre.
Au même titre qu’une remise en plomb peut être faite lors de la restauration de vitraux en verre antique et plomb, c’est un ressertissage par un nouveau mortier qui peut être proposé
lors de la restauration de vitraux en dalle de verre.
La restauration en atelier
Une fois revenus en atelier et après photographies et prise de frottis, les vitraux sont dessertis le plus souvent à la pince. Les pièces de verre sont replacées sur une copie du frottis. Les parties trop écaillées ou cassées sont remplacées par des pièces neuves. Le ressertissage est alors effectué. Il peut l’être avec un mortier de ciment, mais avec une armature en acier inoxydable. Il peut également l’être avec un mortier de résine époxy plus léger car coulé en moindre épaisseur. Il est plus résistant que le ciment et de même couleur que ce dernier.
Les ateliers Loire s’attachent à maintenir un stock important de dalles. Avec une palette de plus de trois cents nuances pour leur création, ils peuvent restaurer au plus près les vitraux qui leur sont confiés. Déjà plusieurs chantiers sont à leur actif, dont l’église Saint-Sauveur à l’Île d’Yeu (85), l’église Notre-Dame de Gravenchon (76) et l’église Sainte Jeanne d’Arc à la Rochelle (17).
La repose des vitraux restaurés
Pour éviter la compression des vitraux par le bâtiment, il est important de prévoir un joint de dilatation entre le vitrail et l’architecture. Dans la mesure du possible le maintien du vitrail par des pare closes est préférable au calfeutrement qui rend solidaire vitrail et architecture. C’est ainsi qu’un châssis-bois ou métallique neuf avec pare closes peut être fixé dans l’architecture avant la repose du vitrail. Ce système permet également la mise en place de “traverses horizontales” qui limiteront la compression des panneaux de base en
reprenant la charge des panneaux supérieurs. En effet, ceux-ci supportent tout le poids de la lancette lors d’une pose par emboîtage des panneaux les uns sur les autres comme on peut le voir sur certaines verrières de plusieurs mètres de haut.
Les Ateliers Loire
À Chartres, capitale du vitrail, les ateliers Loire sont renommés pour le vitrail en dalle de verre que Gabriel Loire développa dès les années 1946 mais aussi pour les techniques
contemporaines du vitrail que Bruno et Hervé Loire (troisième génération) mettent en œuvre pour leur propre création et celle des artistes qu’ils accueillent dans leur atelier.
BIBLIOGRAPHIE
Un livre « Gabriel Loire, les vitraux » édité par le Centre intermational du vitrail de Chartres retrace la carrière et l’œuvre “vitrail” de cet artiste aux facettes multiples.
Portrait de l’atelier familial
Après des études de commerce et de dessins à l’école des Beaux-arts d’Angers, Gabriel Loire s’installe à Chartres en 1926 où il s’associe avec le maître-verrier Charles Lorin. Ne pouvant satisfaire ses envies de création, il quitte cet atelier issu de la tradition du XIXe siècle pour créer en 1946 son propre atelier.
À cette époque, la reconstruction d’après guerre commençait et de très nombreuses églises étaient à restaurer ou à reconstruire. De plus, l’exode de la population de la campagne vers la ville engendrait, dans les banlieues françaises, la naissance de nouvelles paroisses et la construction de nombre d’églises.
C’est dans ce contexte très dynamisant pour les arts sacrés grâce au Père Couturier et également l’intervention de grands artistes comme Bazaine, Rouault, Matisse, Léger que Gabriel Loire commence à travailler en s’exprimant principalement avec la dalle de verre sertie de ciment. Très rapidement cette technique a séduit le clergé qui y voyait un renouvellement de l’art du vitrail et les architectes qui utilisaient ce même ciment pour leur construction. Le vitrail devenait un élément essentiel de l’architecture et non plus un ajout décoratif. Grâce à la qualité de ses maquettes et à sa faculté à s’intéresser à tous les nouveaux projets, Gabriel Loire a rapidement acquis une renommée qui s’est très vite étendue en Europe puis aux Etats-Unis où des réalisations de plusieurs centaine de m° lui ont été confiées. Ses œuvres sont visibles sur cinq continents et il a collaboré avec de nombreux architectes comme Egon Eierman pour l’église du souvenir du Kaiser Wilhelm à Berlin (1960) ou Philip Johnson pour la chapelle de Thanks Giving de Dallas (1876).
En France, plus de trois cents églises, principalement dans la Manche et dans les Vosges, ont des vitraux créés par le maître-verrier chartrain. Parmi ses créations en dalle de verre les plus remarquables, on peut citer Notre-Dame-du-Cierge à Épinal (88) en 1959, l’église Saint-Lazare à Lèves (28) en 1956, la chapelle Notre-Dame de Consolation Costabelle à Hyères (83) en 1952.
En 1970, Gabriel Loire a confié l’atelier à son fils Jacques pour se consacrer à la peinture. Mais, jusqu’à sa mort en 1996, il a continué de créer de nombreux vitraux réalisés sous la responsabilité de son fils et de ses petits-fils.
Bruno LOIRE
Maître-verrier, Chartres